vendredi 12 décembre 2008

Episode 2 : Un froid de canard.

Il fait froid à Casablanca en ce moment. Trop froid. Le froid fait chaque année beaucoup de victimes chez la population des chats. On retrouve parfois des cadavres de nos frères dans des coins perdus dans les ruelles. Ils ont gelé sur place. Un spectacle horrible. Mais les chats sont les seules victimes du froid. Chez les marocains aussi il y a des victimes. Une dizaine de personnes sont mortes de froid ces derniers jours. Pire encore, des Sans Domicile Fixe seraient morts à Béni-Mellal. Comment ça peut arriver ce genre de choses dans un pays comme le Maroc ? Nous les chats, on a pas de famille et on n’a pas besoin de famille pour vivre. Une fois qu’on a arrêté de téter, notre mère nous laisse faire notre vie librement. On se sépare. Chacun fait sa vie et survit. C’est ça nos valeurs morales en tant que chat. Mais chez les marocains, où est la famille ? Où sont les valeurs morales ? On a toujours pensé que les SDF mourraient sur les trottoirs de France ou d'Europes. Mais au Maroc, où sont les familles des SDF morts ? Ils sont morts seuls sans dignité.

Face à ce froid, ma bande et moi, on fait tout pour ne pas crever cet hiver. On a mis en place notre propre plan d’urgence contre le froid. Le ministre de l'intérieur Chakib Benmoussa serait fier de nous ! Notre stratégie : on monte sur les gouttières et on attend que des voitures se garent. Quand le conducteur et les passagers s’en vont, on se jette sur les voitures, on va en dessous et on se met près du moteur encore tout chaud. C’est comme un sein maternel. Et on s’endort sur le moteur. Mais parfois il faut sortir les griffes car vous le savez , les chats protègent jalousement leur territoire. Il suffit d’aller sur la voiture d’un territoire d’un autre chat et il attaque. Et parfois, c'est toute une meute de chats qui attaquent. Parfois ma bande et moi, on réussit à faire déguerpir ces chats. Cependant, parfois, il y a des chats qui sont plus nombreux que nous. Par conséquent, on est obligé d’abandonner sinon on va se retrouver avec un œil en moins. Être chat, c’est ça aussi, on doit mettre sa fierté de côté pour survivre. Alors, on va à la recherche d’un autre parking non conquis. Et quand on en trouve un, on s’endort sous les voitures tranquilement. Mais attention, quand on dort, nous les chats, il faut garder un œil ouvert et les oreilles levées sinon on risque de mourir écraser par la voiture une fois qu’elle se met en marche ou on risque de se faire bruler une fois que le moteur démarre. Mon ami Yassine a plusieurs fois failli devenir de la soupe de chat parce que lui, quand il dort, c’est une marmotte. Il peut y avoir un incendie ou un tremblement de terre , il ne se réveillera pas. Ludo et lui sont donc inséparables, ils font capot ensemble car Ludo est insomniaque. Il ne dort pas facilement et fait beaucoup de cauchemar. Quand il y a un danger, il met un coup de griffe dans le derrière de Yassine et là il se réveille sur le champs.

Mais parfois, après quelques heures de sommeil, quand la chaleur du moteur s'estdissipée, je me réveille et je vais me balader dans les rues pour me tenir chaud et pour voir ce qui s’y passe. Et il s’en passe des choses la nuit dans les rues de Casablanca, surtout près du Maarif. Que ce soit en hiver ou en été d’ailleurs. En marchant, je suis arrivé au niveau du boulevard d’Anfa. Et là dans la pénombre du trottoir, il y avait des jeunes filles qui discutaient et qui riaient. Je m’approchais d’elles pour écouter ce qu’elles disaient. Certaines étaient habillées de djellaba et d’autres portaient des jeans très serrés avec des décolletés plongeant. Elles discutaient d’argent. L’une expliquait que la nuit dernière elle ne s’était fait que 1200 dirhams et une autre se vantait de s’être fait 2500 dirhams. En m’approchant, l’unes d’elle m’a vu et m’a appelé.

-Minou, viens mon minou viens me voir !

Ma grande faiblesse c'est que quand je vois de jolies femmes qui m’appellent, je ne peux pas résister. Je mets au placard toutes les règles de chat sauvage et je m’approche de ces femmes. L’une des filles lui lance :

-Qu’est-ce que tu fais Fatima, ne caresse pas ce chat, il a peut –être la peste !

La jolie fille qui me caresse sur le cou lui répond :

-T’inquiètes pas Salima, il est tout gentil ce chat. Regardes-le, il ronronne.

L’autre femme lui répond :

-Tu ferais mieux de faire ronronner les hommes au lieu de faire ronronner les chats. C'est pas ses bestioles qui vont te donner ta bouchée de pain.

Fatima continue de me caresser et me chuchote à l’oreille :

-Tu as de la chance toi mon minou, tu es libre, libre comme l'air. Tu ne fais pas des choses que tu es obligé de faire. Je rêverai d’être comme toi, d'être libre et d'aller où je veux.

Soudainement, une vieille mercedes s’arrête au niveau des filles. Le conducteur baisse la vitre. Il écoutait de la musique populaire si fort que j’ai sursauté sur le coup. Il demande en criant d'une manière vulgaire à Fatima :


-Combien c’est toi là-bas ?

Fatima ne l'entend pas et continue de me caresser.

Salima appelle Fatima d’un ton sec :

-Fatima, ne vois-tu pas que tu as un client !

Fatima arrête soudainement de me caresser. Elle m’embrasse sur la tête et me dit au revoir. Elle se lève et va voir le chauffeur de la Mercedes et lui dit :

-C’est 450 dirhams.

Le chauffeur lui répond :

-400 dirhams seulement, les temps sont difficiles.

Et Fatima monta dans la voiture. La vieille mercedes démarra en trombe en laissant une fumée étouffante derrière elle. Les autres filles riaient. Je regardais la voiture s’éloignait dans le boulevard.

Je me disais qu’il fait vraiment froid à Casablanca en ce moment.

Aucun commentaire: